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LA COOPÉRATIVE À LA UNE Biocer, un couteau suisse au service de la bio

Continuer de développer un outil entièrement adapté aux spécificités de la bio est la ligne directrice de Frédéric Goy, directeur de Biocer (à gauche), et de Christian Jacob, son président.

La coopérative, qui pourrait devenir la section bio de NatUp, est un « pure-player » de la collecte et de la valorisation des grains bio de ses adhérents. Une spécificité qui a des implications à tous les étages, depuis son modèle d’affaires, en passant par la relation avec les adhérents, jusqu’à la conception des sites ou la gestion des ressources humaines.

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Travailler dans le secteur de la collecte et de la valorisation des grains bio implique nécessairement d’adopter « un logiciel » différent du conventionnel. Les équipes et les adhérents de la coopérative normande Biocer, « pure-player » de la bio depuis 1988, ne diront pas le contraire. Cette spécificité du bio s’est en effet imprimée à tous les niveaux de la structure. Une particularité qui se ressent dans les chiffres et les implantations géographiques qui n’ont rien à voir avec les ratios habituels des métiers du grain. « Nous sommes implantés sur un territoire très vaste relativement à notre taille. C’est lié au fait que l’agriculture biologique est encore une petite filière vis-à-vis du conventionnel, explique Frédéric Goy, directeur général de la coopérative. Ainsi, nous couvrons 22 départements pour la collecte, sur un vaste quart nord-ouest de la France, avec seulement trois silos pour 27 000 t de collecte auprès de 200 exploitations. Nous mobilisons pour cela une équipe de 27 personnes. » En bio, on ne peut effectivement pas espérer viser les mêmes gains logistiques et les mêmes économies d’échelle qu’en conventionnel. L’efficacité et la compétitivité se construisent surtout par des qualités d’agilité dans le mode de fonctionnement et de construction de valeur ajoutée jusqu’aux consommateurs. Cette orientation se ressent par la volonté de l’entreprise, depuis ses origines, de maîtriser la valorisation liée au mode de production. « Tout est parti de là ! retrace Christian Jacob, agriculteur à Sacquenville (Eure) et président de Biocer. Au départ, il y avait une poignée de producteurs qui voulaient sécuriser leurs débouchés alors qu’ils étaient confrontés à une grande insécurité pour trouver des débouchés en bio. » C’est ainsi que l’entreprise a été lancée à partir d’une simple ligne téléphonique dans la ferme de l’un des fondateurs, à une encablure du siège social actuel eurois de Marcilly-la-Campagne. En 1994, les agriculteurs décident d’investir dans leur premier équipement de stockage et de tri des grains au Plessis-Grohan, à proximité de Rouen. Ils ont alors également mis en place une production de farine en sous-traitance afin de valoriser leur production, qui suscitait encore peu d’intérêt de la part des meuniers de l’époque.

Un « silo-usine » en 2019

À peine dix ans plus tard, en 2003, la coopérative augmente encore sa capacité en acquérant un deuxième silo à céréales à Beaumont-le-Roger (Eure), puis un troisième en 2010, à Fouilloy (Oise). Pendant cette période, l’activité de production de farine prend de l’ampleur. Les adhérents investissent alors en 2006 dans leur propre moulin sur leur site du Plessis-Grohan, équipé de quatre ensembles de meules artisanales de pierre Astrié. Un nouveau palier dans ce projet structurant visant à maîtriser la valeur ajoutée par les agriculteurs a été franchi en 2019, dans l’optique d’accompagner la croissance de la production et de la demande du marché bio. C’est à cette période que la coopérative met en service un véritable « silo-usine » à Marcilly-la-Campagne. Le site présente une capacité de stockage de 4 320 t équivalent blé, pour une quarantaine de cellules dont la taille varie de 25 t à 200 t. L’ensemble a été conçu pour gérer deux rotations, soit 8 000 t par an. Il est couplé à un moulin sur meules de pierre de 2 500 t de capacité annuelle, ainsi qu’à une station de triage et de pré-process de grains mobilisant une batterie de technologies différentes (aimants, table densimétrique à flux d’air, calibreur, trieur optique…). La combinaison de ces procédés permet d’atteindre les normes de consommation et de vente en alimentation humaine pour une cinquantaine de produits différents (lentilles, quinoa, haricots secs, farines, etc.). « Le conditionnement des graines pour l’alimentation humaine ou des farines est ensuite réalisé sur place, en unités de vente consommateur, du plus petit conditionnement de 250 g jusqu’au big-bag, en passant par les sacs de 25 kg pour les clients professionnels, détaille le directeur général. Cette activité de diversification représente aujourd’hui environ 30 % du chiffre d’affaires global de la coopérative et permet de valoriser environ 20 % des volumes des adhérents. Cet outil est évolutif, avec des possibilités de développer encore la production. »

« Pas de diplôme clés en main »

Le « silo-usine » de Marcilly-la-Campagne a été entièrement conçu dans une logique d’agilité et d’adaptabilité pour la valorisation d’une diversité de productions intrinsèque aux systèmes biologiques. Il réceptionne quarante espèces différentes, dont des espèces en mélanges, avec des graines aussi différentes que le chia, le quinoa, le sarrasin, des variétés anciennes de blé… Le stockage de ces productions brutes ou transformées nécessite également des moyens de lutte alternatifs contre les différents ravageurs. Un ensemble de bonnes pratiques d’hygiène, de même que le recours aux pièges à phéromones ou au froid positif, fait partie de la panoplie. Gérer la complexité du bio tout le long de la chaîne de valeur de l’entreprise ne s’apprend dans aucune école d’agriculture ou de management. « Les feuilles de postes ici ne sont pas standardisées. Il n’existe pas de diplôme clés en main pour intégrer Biocer, souligne Grégoire Rouyer, responsable productions et conseil auprès des adhérents. On a besoin de personnes qui soient de véritables couteaux suisses. Cela est également vrai pour les fonctions de conseiller de terrain. En conventionnel, beaucoup d’entreprises ont choisi la vente plutôt que le conseil. En bio, on ne pourrait vraiment pas se priver du conseil. Le modèle est très différent car la chaîne de valeur n’est pas du tout la même. »

Huit conseillers de terrain

Le responsable souligne également le manque de références techniques en bio, qui implique un accompagnement spécifique des adhérents, via l’équipe de huit conseillères et conseillers terrain. « L’agriculture biologique repose principalement sur la vie des sols, dont on ne comprend encore pas grand-chose, complète-t-il. Nous devons par ailleurs beaucoup compter sur nous-même pour développer nos propres connaissances et les conforter. L’agriculture biologique représente aujourd’hui 10 % des surfaces en France. Cependant, le secteur est encore bien loin de concentrer 10 % de la recherche agronomique française. » Dans ce contexte, Biocer est ainsi impliquée à 50 % dans l’outil de production de semences, Union Bio Semences. Par ailleurs, elle anime des expérimentations ciblées. Pour favoriser la vie démocratique sur un vaste territoire, entre l’entreprise et l’ensemble de ses 280 adhérents, des réunions de terrain et des bilans moisson sont organisés en proximité sur les différentes zones de collecte. « Nous avons besoin du retour du terrain et des attentes des adhérents. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une relation descendante, insiste Christian Jacob. Par ailleurs, nous fonctionnons sur le principe de la mutualisation. Nous ne faisons pas de différence en termes de collecte en fonction des quantités livrées ou des distances. »

Gains d'efficacité attendus

Depuis deux ans, la coopérative est confrontée à la crise qui affecte l’ensemble des productions en bio, avec notamment des reports de stocks d’une campagne à l’autre. Selon l’équipe dirigeante, c’est lié à la stagnation de la demande à laquelle s’ajoute une hausse des volumes. « En outre, la loi EGalim semble mal appliquée. Elle ne provoque pas l’appel d’air attendu face aux engagements de 20 % de produits bio en restauration collective », ajoute le président de Biocer. Dans ce contexte, le conseil d’administration étudie un projet de rapprochement avec la coopérative NatUp, en vue de mutualiser des achats, créer de la valeur, écraser des frais fixes sur des volumes plus importants et faire des économies d’échelle... Les gains d’efficacité attendus de ce projet pourraient ainsi permettre à l’outil et aux adhérents de mieux passer cette période dont personne ne sait combien de temps elle peut encore durer. « Cette nouvelle trajectoire possible pour Biocer sera décidée de façon démocratique, le 23 novembre prochain, en assemblée générale extraordinaire, explique Frédéric Goy. Le conseil d’administration de Biocer y trouve de l’intérêt, mais cet intérêt ne présage en rien du vote des adhérents. Au sein de Biocer, le principe un homme une voix s’applique. »

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